Edito de la revue Le Photographe, n° 1663, juillet/août 2008.
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Alerte sur les droits d’auteur.
Le cas des œuvres orphelines – celles dont on ne connaît pas ou dont on ne parvient pas à retrouver les auteurs – est un sujet sensible qui fait beaucoup parler de lui à travers une actualité qui souffle le chaud et le froid.
Alors qu’en France, une commission composée de représentants des auteurs et des éditeurs s’est récemment entendue sur un rapport transmis au ministre de la Culture qui doit servir de base à une nouvelle loi régissant l’usage des œuvres orphelines – laquelle devrait mieux protéger les auteurs en mettant fin au recours abusif aux “droits réservés” – le congrès américain planche de son côté sur un projet baptisé “Orphan Works Bill”, qui a mis en ébullition les milieux de la création dans le monde entier.
Et pour cause : la proposition de loi américaine réduit la contrainte de recherche de paternité des œuvres à “un effort raisonnable et approprié” et limite les pénalités financières en cas de requête des auteurs ou de leurs ayants droit pour usage non autorisé à “une compensation raisonnable”. Stipulée ainsi, cette loi procurerait donc aux utilisateurs indélicats l’excuse de l’ignorance et les dispenserait de sanctions lourdes et dissuasives en cas d’abus.
Par ailleurs, le législateur américain préconise la création “de bases de données d’images” dont la gestion serait confiée à des sociétés privées dûment référencées, dans lesquelles les auteurs seraient incités – moyennant finance bien entendu – à enregistrer leurs œuvres afin d’en assurer la traçabilité. Sans rien imposer, afin de rester dans l’esprit du traité de Berne selon lequel la jouissance et l’exercice des droits d’auteur ne peuvent être subordonnés à aucune formalité, ce principe comparable au dépôt légal permettrait de légitimer l’utilisation libre de photographies qui, dès lors qu’elles ne figureraient pas dans ces bases ou seraient mal indexées, pourraient être considérées comme “orphelines”. Redoutable.
Ce dernier point est particulièrement dangereux pour tous les photographes dont les images sont diffusées aux Etats-Unis ou accessibles sur Internet car, sans connaître les arcanes de la loi américaine, chaque photographe, professionnel ou amateur, risque non seulement de se faire piller sa production, mais aussi de contribuer bien involontairement à la faillite de l’industrie de la photo d’illustration et d’actualité en offrant aux éditeurs le moyen d’utiliser librement des images “trouvées”.
De nombreuses pétitions circulent déjà pour demander le retrait du projet de loi américain, et d’autres initiatives sont actuellement à l’étude chez nous au sein des organisations professionnelles d’auteurs et de photographes*. Que ceux qui souhaitent y souscrire n’attendent pas pour le faire. A défaut de quoi l’été pourrait bien être meurtrier...
Guillaume Cuvillier